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Blog du citoyen
13 octobre 2015

Les « mal pensants »

L'émission « On n'est pas couché » rassemble, paraît-il, 1,5 million de téléspectateurs en moyenne le samedi soir, plus les visionnages par d'autres canaux. Elle rassemble et cristallise un état d'esprit qui se veut critique sur la société et la politique, tout en prônant une légèreté qui la maintient dans le divertissement.

laurentruquier

Cet état d'esprit n'est pas créé par l'émission, elle en est simplement le lieu et le support principal d'expression et de diffusion. En quoi consiste-t-il ? On tente généralement de le situer entre la bonhomie de son animateur et le déclinisme de son fidèle chroniqueur, entre la rigueur pessimiste de ses philosophes patentés et la jovialité enthousiaste des vedettes invitées, et ces repères sont bien ceux que présentent phénoménalement les différents numéros de l'émission. Mais, plutôt qu'une sorte de milieu entre tout cela, de compromis où les différentes tendances s'atténueraient mutuellement, l'état d'esprit que reflète et amplifie l'émission est un composite dans lequel les composantes se renforcent et perdurent par la présence des autres. La pensée « anti-système » est présentée par des « experts » qui la rendent crédible. La hargne est habillée de « drôlerie » dans laquelle l'outrance tient lieu d'humour, et devient ainsi acceptable. Les idées de droite sont contestataires comme l'étaient les idées gauchistes, et perdent leur côté passéiste.

Le titre de l'émission est significatif. « On n'est pas couché », cela sonne comme la provocation des ados revendiquant le droit de se coucher tard, les mauvais garnements qui ne se couchent pas comme les enfants sages. La rébellion de l'adolescence est présente dans l'intention. Et cette rébellion se glorifie en même temps d'une certaine dignité, car ceux qui ne se couchent pas, c'est ceux qui ne se soumettent pas, comme le suggère l'expression vulgaire de « se coucher devant quelqu'un ».

L'humour n'est pas seulement l'humour potache, mais le « pipi-caca » de l'enfance découvrant avec délice la sexualité interdite. Toutes les horreurs sont permises aux enfants rebelles qui ne se couchent pas. Et le rire n'est pas déclenché par la subtilité du mot d'esprit, par la complicité intellectuelle de l'humour, mais par la gloire de la transgression. « Il a osé le faire », et cela provoque d'énormes éclats de rire démonstratifs.

La pensée n'est pas seulement la pensée critique en éveil, prête à déceler l'envers du décor. Cette vision de la France et du monde où tout est pourri et où se cache un complot derrière chaque tempête tropicale, c'est la vision désabusée de l'adolescent qui recule devant le monde adulte et justifie son recul en l'accusant de tous les maux. La rancœur romantique du mal-aimé prête son vêtement à celle des petits Français jaloux des « étrangers à qui l'on donne tout ». Le mauvais élève réfugié au fond de la classe près du radiateur se déguise en philosophe distancié et critique.

14428678-lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut-mais-pourquoi-diable-defendez-vous-nadine-morano-702x336Le "philosophe"

 

Pour mieux asseoir la légitimité de sa contestation, l'émission a créé son propre contraire. Les « mauvais pensants » pensent avoir le droit de mal penser parce qu'ils ont inventé une « bien pensance », qui prend la place de la « pensée unique » d'il y a quelques années, du « politiquement correct » un peu plus ancien. Cette pensée qui serait celle de la majorité de la population et des intellectuels patentés réunis, de la gauche et de la droite, de la classe politique comme de la foule apolitique, on ne sait où ils l'ont découverte, où ils l'ont analysée, mais il faut qu'elle existe, comme lanuit dans laquelle ils ne sont pas couchés. Comme le faisait jadis Don Quichotte, il est bon de se fabriquer soi-même ses ennemis pour mieux les pourfendre.

Cette nouvelle mal pensance ne serait que risible si, parée des atours de la « dissidence », de la « contre-culture », elle ne se livrait pas à une entreprise organisée de séduction de la jeunesse (de 15 à 50 ans …) aux idées ressassées et détestables du maurassisme, du racisme, du nationalisme frileux et haineux.

"l'expert qui sait tout"

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